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ACTUALITé
04/11/2015
France, Interpellations opérées par des agents de police, Interdiction des traitements inhumains ou dégradants

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme

Saisie d’une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « la Cour EDH ») a interprété l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « la Convention ») relatif à l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants.

Le requérant a fait l’objet d’une interpellation par des agents de police accompagnée de l’usage de la force. Il a été placé en garde à vue au cours de laquelle des lésions importantes se sont manifestées. Il a subi un hématome sous-dural ayant entraîné une perte de connaissance suivi d’un coma et présente, désormais, des séquelles importantes, le privant d’autonomie pour tous les gestes élémentaires de la vie quotidienne.

Le requérant alléguait que les conditions de son interpellation ont porté atteinte à l’article 3 de la Convention, tant en ce qui concerne son volet matériel qu’en ce qui concerne son volet procédural. En effet, s’agissant du volet matériel de l’article 3, le requérant estimait que son interpellation n’avait été ni nécessaire, ni légitime et attribuait l’origine de l’hématome sous- dural subi aux conditions de celle-ci et plus particulièrement à la manière dont il avait été amené au sol, ainsi qu’au coup de genou reçu. S’agissant du volet procédural de l’article 3 de la Convention, il considérait que l’instruction judiciaire avait souffert de plusieurs carences, la qualifiant d’excessivement longue et mettant en cause son effectivité. En outre, il contestait l’opportunité de la dernière expertise effectuée, ordonnée trois ans et demi après les faits.

? Concernant le volet matériel de l’article 3 de la Convention

– La Cour EDH rappelle que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales de la société démocratique. Dès lors, même dans les circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. La Cour EDH insiste sur le fait que l’article 3 de la Convention ne prévoit pas de restrictions et ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation.

Elle rappelle, également, que pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence. Elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime.

La Cour EDH indique qu’en cas d’allégations de violation de cet article, celle-ci doit, pour apprécier les preuves, se livrer à un examen particulièrement approfondi. Elle a alors recours au critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant, néanmoins, résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants.

En outre, elle précise que lorsque des procédures internes ont été menées, elle n’a pas à substituer sa propre version des faits à celle des juridictions nationales, auxquelles il appartient d’établir les faits sur la base des preuves recueillies par elles. En effet, même si dans ce type d’affaires elle est disposée à examiner d’un œil plus critique les conclusions des juridictions nationales, il lui faut disposer d’éléments convaincants pour pouvoir s’écarter des constatations auxquelles celles-ci sont parvenues.

Elle observe que la procédure prévue par la Convention ne se prête pas toujours à une application rigoureuse du principe en vertu duquel la preuve incombe à celui qui affirme et considère, en effet, que lorsque les évènements en cause sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde-à-vue, tout dommage corporel ou décès survenu pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. La charge de la preuve pèse dans ce cas sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante. 

En ce qui concerne la question particulière des violences survenues lors d’interpellations opérés par des agents de police, la Cour EDH rappelle que le recours à la force doit être proportionné et nécessaire au vu des circonstances de l’espèce. A cet égard, elle attache une importance particulière aux blessures qui ont été occasionnées aux personnes objet de l’intervention et aux circonstances précises dans lesquelles elles l’ont été.

– Concernant le cas d’espèce, la Cour EDH relève, tout d’abord, que les blessures du requérant dépassent le seuil de gravité exigé pour que le traitement dont il se plaint tombe sous le coup de l’article 3 de la Convention.

Par ailleurs, elle observe que les circonstances de l’espèce ne renvoient pas uniquement au déroulement de la garde-à-vue du requérant mais, également, aux conditions de son interpellation et sa conduite au commissariat. Elle examine, dès lors, la question de savoir si les faits allégués sont établis en recherchant l’existence d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants.

S’agissant des expertises médicales effectuées, la Cour EDH relève que les conclusions des différents experts consultés sont contradictoires, certains concluant que les conditions d’arrestation en gare étaient vraisemblablement ou certainement à l’origine des lésions traumatiques et d’autres estimant, au contraire, que la survenue des fractures était peu probable lors des évènements.

En outre, elle observe que les déclarations des fonctionnaires de police et des agents du service de surveillance général de la SNCF sont, également, contradictoires, chaque service se renvoyant la responsabilité des blessures du requérant. Enfin, en ce qui concerne la justification de l’usage de la force pendant l’interpellation, la Cour EDH constate à nouveau l’existence de contradictions entre les différents témoignages, certains déclarant que le requérant avait eu un geste violent à l’encontre d’un agent, d’autres contestant cette version.

La Cour EDH conclut que les investigations internes ont conduit à la réunion d’éléments contradictoires et troublants, tant dans les rapports d’expertises successifs que dans les témoignages sur les motifs et les conditions de l’interpellation et de la prise en charge du requérant. Elle considère que l’hypothèse de violence subie par l’intéressé avant son interpellation n’apparait pas suffisamment étayée pour être convaincante au vu des circonstances de l’espèce.

Compte tenu de ces éléments, la Cour EDH estime que les circonstances de l’espèce permettent de caractériser l’existence d’un faisceau d’indices suffisant pour retenir une violation de l’article 3 de la Convention, en l’absence de fourniture par les autorités internes d’une explication satisfaisante et convaincante à l’origine des lésions du requérant dont les symptômes se sont manifestés alors qu’il se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police.

 

Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 3 de la Convention dans son volet matériel.

? Concernant le volet procédural de l’article 3 de la Convention

– La Cour EDH relève l’importance de l’existence d’une enquête officielle effective lorsqu’un individu soutient de manière défendable avoir subi, notamment aux mains de la police, un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Elle rappelle que l’enquête qu’exigent des allégations de mauvais traitements doit être à la fois rapide et approfondie, ce qui signifie que les autorités doivent s’efforcer sérieusement de découvrir ce qui s’est passé et qu’elles ne doivent pas s’appuyer sur des conclusions hâtives ou mal fondées pour clore l’enquête ou fonder leurs décisions.

Toute carence de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les causes du dommage ou l’identité des responsables risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à la norme d’efficacité requise. De plus, l’enquête doit être menée en toute indépendance par rapport au pouvoir exécutif. A ce titre, la Cour EDH insiste sur le fait que l’indépendance de l’enquête suppose non seulement l’absence de lien hiérarchique ou institutionnel, mais aussi une indépendance concrète. Enfin, la victime doit être en mesure de participer effectivement, d’une manière ou d’une autre, à l’enquête.

– En l’espèce, la Cour EDH relève qu’une enquête de flagrance a été ouverte dès la découverte des faits. Celle-ci a permis, notamment, l’audition de témoins. En outre, une instruction a été rapidement ouverte et au cours de celle-ci, de nombreux actes ont été réalisés. Elle considère que la durée de l’instruction s’explique par l’ampleur des investigations entreprises, de nombreuses auditions et pas moins de quatre expertises ayant été effectuées et refuse, dès lors, de la considérer comme excessive.

Enfin, la Cour EDH admet que le requérant, qui s’était constitué partie civile et était représenté par un avocat, disposait de la possibilité de formuler des demandes d’actes et de faire valoir ses intérêts.

Par conséquent, elle considère qu’en l’espèce, le requérant ne démontre pas que les investigations n’auraient pas été conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention.

Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.

(Arrêt du 16 juillet 2015, Ghedir e.a. c. France, requête n° 20579/12)

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