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ACTUALITé
18/01/2016
La déchéance de nationalité : partie immergée de l'iceberg…

La déchéance de nationalité se définit, à l'heure actuelle,  comme la sanction qui consiste à retirer à un individu qui l’avait acquise la nationalité française, en raison de son indignité ou de son manque de loyalisme. 

Cette mesure de défiance existe depuis l’abolition de l’esclavage en 1848 et a pris sa physionomie actuelle au cours de la Première Guerre Mondiale avec une loi de 1915. Depuis lors, elle a été maintenue dans son principe et est prévue aux articles 25 et 23-7 du Code civil.

L’article 25 du Code civil dispose :

« L'individu qui a acquis la qualité de français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française :

1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ;

2° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;

3° S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;

4° S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de français et préjudiciables aux intérêts de la France ;

5° S'il a été condamné en France ou à l'étranger pour un acte qualifié de crime par la loi française et ayant entraîné une condamnation à une peine d'au moins cinq années d'emprisonnement. »

L’article 23-7 du Code civil dispose quant à lui :

« Le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger peut, s'il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d'Etat, avoir perdu la qualité de Français. »

Aujourd’hui, le débat sur les conditions d’application de la déchéance de nationalité est relancé. En effet, le président Hollande propose d’étendre la déchéance de nationalité :

  • aux terroristes aux terroristes plurinationaux, nés en France ;
  • aux terroristes plurinationaux naturalisés français depuis plus de 15 ans.

Il s’agit d’une proposition de loi constitutionnelle. Cela signifie l’inscription de cette mesure dans la Constitution et ce, par la modification de l’article 34.

En effet, l’article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant la nationalité. Il est évident qu’une loi fixant la déchéance d’une personne binationale, née française dépend de la Constitution.

L’inscription dans notre Constitution permet l’élargissement de la loi et, éventuellement, permettrait d’éviter d’avoir à justifier de cette loi devant le Conseil constitutionnel. La question des dérives postérieures à cette inscription font aujourd’hui débat.

Pour l’instant, la loi autorise cette mesure uniquement quand elle cible des auteurs binationaux d’actes terroristes qui ont obtenu la nationalité française depuis moins de 15 ans.

Cette sanction, rare et encadrée, n’a été prononcée selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, que 21 fois depuis les années 90.

Actuellement, certaines conditions strictes sont exigées. Plus précisément, peut être déchu de la nationalité française « l’individu qui a acquis la qualité de français » selon l’article 25 du Code civil.

L’article 25 du Code civil prévoit quatre faits susceptibles de justifier la sanction de déchéance de nationalité française :

  • La condamnation pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou délit constituant un acte de terrorisme ;
  • La condamnation pour un acte qualifié de crime ou délit constituant des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique, tel que le manquement au devoir  de probité avec la corruption ;
  • La condamnation pour s’être soustrait aux obligations résultant du Code du service national ;
  • Le fait de s’être livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.

La déchéance de nationalité ne peut, jusqu'à présent, être prononcée que dans un délai de 10 ans à compter de la perpétration des faits visés à l’article 25 du Code civil, délai porté à 15 ans si les faits reprochés constituent des actes de terrorisme.

La déchéance ne constitue pas en tant que telle une mesure d’éloignement du territoire, elle est dépourvue d’effet sur la présence de l’intéressé sur le territoire français, ce qui permet en théorie d’écarter le grief d’atteinte au respect de la vie familiale fondé sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.  En pratique on peut imaginer la difficulté dans un tel cas d'obtenir un titre de séjour permettant de rester sur le territoire français.

En outre, rien n’empêche que la déchéance soit suivie d’une mesure d’éloignement.

Aujourd’hui, lorsque l’on examine les conditions d’application de cette mesure, on constate que la déchéance de la nationalité ne peut frapper que les seules personnes binationales nées étrangères ayant été naturalisées il y moins de 15 ans, c'est-à-dire les personnes ayant acquis la nationalité française et donc non nés français.

En effet, la France se refuse de créer des apatrides, et ce, depuis la loi du 16 mars 1998, en application de traités internationaux, tels que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.

Même si cette justification est légitime, il a souvent été reproché à cette condition d’être pour le moins discriminatoire.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a considéré, dans une décision du 16 juillet 1996 :

« Au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation »

Mais il a admis finalement que le législateur ai pu « compte tenu de l’objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l’autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l’ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d’égalité ».

Il ressort donc de cette décision que la sanction de déchéance de nationalité ne concerne pas les personnes nées françaises.

Néanmoins, suite aux récents événements, la proposition du Président Hollande permet justement d'appliquer cette sanction aux personnes nées françaises binationales.

Quels sont les enjeux de cet élargissement ?

Dans une lecture rapide, on peut penser que cette inscription dans la Constitution est plus symbolique qu’efficace.

Il n’existe pas aujourd’hui de chiffres officiels du nombre de binationaux nés français.

La dernière grande enquête de l’INED en 2008 évaluait à 5% la part de binationaux dans la population française, mais on ignore combien d’entre eux sont nés français, et encore moins combien pourraient être condamnés pour des faits de terrorisme.

Le gouvernement actuel admet que « l’efficacité de cette réforme n’est pas l’enjeu premier » et ajoute : « c’est une mesure à caractère hautement symbolique ».

Dans une réflexion plus poussée des risques de dérives suivant cette réforme sont à craindre, justement la déchéance pour les binationaux nés français pourrait être étendue à l'égard d'auteur d'infraction de droit commun.

Il serait dommageable que cela devienne un thème de campagne…ne s'agit il pas de la partie immergée de l'iceberg…portant atteinte aux principes les plus fondamentaux de notre République ?