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ACTUALITé
Revue de presse.

Circonstance aggravante, l’accusé était surveillant à l’école Auguste-Delaune, à Bobigny, et assistant d’éducation (ASE) au collège Anatole-France, à Drancy. Il est seul à être poursuivi mais le rôle de l’Éducation nationale, dans ce lourd dossier de crimes sexuels, a été vivement critiqué. Consternée après le témoignage de Pierre (le prénom a été modifié), enseignant au collège, la présidente dresse un constat sans appel : « L’affaire n’a pas été traitée de façon satisfaisante. Votre administration n’a pas su prendre en charge le personnel et les familles. »

« Si ça ne sort pas de la salle des profs, personne ne sera au courant »

Trois ans après, Pierre a toujours la gorge nouée quand il parle des faits. Macek, Simon, Sacha, Artan, Mickaël (les prénoms ont été modifiés) étaient ses élèves. En 2019-2020, il est néo-titulaire au collège Anatole-France. Affecté en Seine-Saint-Denis, il ne s’attend pas forcément à une année tranquille. Mais il est loin d’imaginer qu’une quinzaine d’élèves vont révéler avoir subi des viols et des agressions sexuelles répétées au sein même de l’établissement. Quatorze plaintes ont été déposées. Une autre émane d’un élève de l’école Delaune de Bobigny.

Fin février 2020, le suspect est placé en garde à vue pour viols et agressions sexuelles. On dénombre quatre victimes. L’affaire est contenue par la direction de l’établissement. Jusqu’à ce qu’un personnel ébruite le scandale. L’enseignant se souvient du mot d’ordre de la principale du collège : « Si ça ne sort pas de la salle des profs, personne ne sera au courant » et « il ne faut rien dire pour les besoins de l’enquête ».

La cellule psychologique a pour consigne « de ne pas parler aux enfants, sauf si les parents sont au courant ». Les professeurs ne peuvent la rencontrer qu’en dehors des heures de cours, précise Pierre. Dans les salles de classe, les psys concèdent qu’une « chose très, très grave qu’on ne doit pas faire aux enfants s’est produite ». Mais ils évitent de prononcer le mot « agression sexuelle ».

« Je ne mens pas aux enfants »

Pressé de questions, Pierre choisit de parler franc : « Je ne mens pas aux enfants, a-t-il expliqué à la barre. Je leur ai dit qu’il était soupçonné d’avoir agressé sexuellement des collégiens mais qu’il y avait une présomption d’innocence. » La classe fond en larmes. Des mots ont enfin été posés sur des actes. Pierre s’improvise cellule de crise. L’institution se retranche derrière la présomption d’innocence et son devoir de protection des enfants.

Nordine B. était arrivé dans le collège de Drancy, en 2017. En parallèle, il occupait un mi-temps à l’école primaire Auguste-Delaune, à Bobigny, depuis 2011. La principale expliquera que ce surveillant, qu’elle n’avait pas recruté, lui paraissait « gentil », « bienveillant » et « tactile », mais « n’éveillait pas le moindre soupçon ».

 

Personne ne viendra lui dire que l’homme a déjà été placé en garde à vue, en février 2018, pour des agressions sexuelles sur un écolier de CM1, dans une école de Bobigny. Le dossier a été classé sans suite. Ni vu, ni connu, le surveillant rempile à temps complet au collège en 2019-2020. « Nous sommes à 3 km à vol d’oiseau entre ces deux écoles et on n’a pas su dire qu’il y avait eu des difficultés », s’insurge Me Nathalie Barbier, partie civile dans une plaidoirie à boulets rouges contre l’Éducation nationale.

Pourtant, depuis 2019, des signes d’alerte ont bien été notés. Une conseillère principale d’éducation (CPE) convoque ce surveillant aux gestes trop familiers avec les élèves. Elle a remarqué qu’il tirait les rideaux de ses salles d’étude et fermait les portes à clé. Elle n’est pas favorable à son maintien dans le collège. Mais elle avoue : « Il nous a tous retourné le cerveau. »

Les profs divisés sur le sujet

Il est donc renouvelé. Le scandale éclate en mars 2020. La France se confine le même mois. L’enseignement se fait à distance. Le professeur d’histoire-géo remarque que Macek a complètement lâché ses cours. « Je me suis rendu compte que sa mère et lui étaient laissés à leur souffrance ».

Au collège, la discrétion est toujours de rigueur. Pierre cherche conseil ailleurs, auprès d’associations spécialisées dans la traumatologie des ados. Il crée avec certains collègues un comité de pilotage. Cette initiative est fraîchement acceptée par la hiérarchie. Si l’Éducation nationale ne veut pas se porter partie civile, le collectif souhaite le faire.

« Le Dasen (directeur académique des services de l’Éducation nationale) nous l’a fortement déconseillé », témoigne Pierre. Le collège est scindé en deux. D’autres collègues trouvent que Pierre a outrepassé ses fonctions. En avril, les propos scabreux d’un élève alertent l’enseignant. Il découvre que deux autres adolescents ont été victimes du surveillant. Les langues se délient. Mickaël (le prénom a été modifié), 11 ans, découvre l’affaire dans Le Parisien. Il se confie à son tour à ses parents et révèle avoir subi des attouchements de Nordine B., quand il était en sixième.

Me Marlène Viallet, l’avocate de Mickaël, félicite les enfants d’avoir « libéré la parole » et « brisé l’omerta ». « Combien sont-ils à se taire aujourd’hui ? » interroge sa consœur, Me Barbier. Car Nordine B. travaillait régulièrement avec des enfants depuis 2000.